Olivier De Schutter, est un juriste belge et professeur de droit international à l’Université Catholique de Louvain. Il a assumé, entre 2008 et 2014, le mandat de Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme à l’Organisation des Nations unies. Il a été membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU entre 2015 et mai 2020, jusqu’à sa nomination comme Rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme.
En situant la transition écologique dans sa dimension spirituelle, le pape François dit clairement que c’est en nous que se trouvent les solutions. C’est à la fois un message d’espoir, car cela signifie que nous ne devons pas attendre pour agir et que chacun, à son échelle, peut faire une différence pourvu qu’il fasse un examen de conscience. C’est aussi un message qui responsabilise, car cela signifie que l’on doit se changer soi-même, afin de pouvoir changer son environnement, la société et le monde.
La transition repose en effet sur les motivations intrinsèques des acteurs sociaux. Elle mise sur les récompenses « inhérentes » que le comportement pro-environnemental amène pour les individus. Il y a en effet un réel plaisir d’apprendre et de contribuer à l’action collective. De plus, la convivialité accompagne l’action conduite avec d’autres. Le sentiment de contribuer au changement et le fait d’agir en conformité avec les valeurs que l’on professe procurent de la satisfaction.
N’y a-t-il pas un mythe de la croissance ?
Du point de vue de l’individu, ce qui est implicite dans le mythe de la croissance, c’est d’abord que l’épanouissement de chacun passe par l’augmentation des possibilités de consommation matérielle. Celle-ci est rendue possible par une augmentation des revenus, combinée à une diminution des prix des biens de consommation courante. Cette diminution étant facilitée par la standardisation de la production et par la mise en concurrence généralisée des producteurs.
Ce mythe, c’est, ensuite, que le statut social de l’individu passe par son accès à un emploi rémunéré. Cet emploi est à la fois source de revenu, ouvrant la possibilité de consommation, et permet également une reconnaissance sociale.
Du point de vue la société dans son ensemble, derrière le mythe de la croissance gît celui d’un progrès continu, d’une ligne du temps qui nous conduit au « toujours plus ». Ce sont ces représentations imaginaires qu’il faut dépasser.
Comment dépasser ces mythes ?
L’autonomie individuelle et collective doit conduire à redéfinir la place de la prospérité économique, entendue comme l’extension des possibilités de consommation matérielle, dans la hiérarchie de nos priorités : au lieu d’être une fin en soi, elle doit redevenir un moyen au service des fins que nous nous donnons librement.
Il faut cesser d’accorder la priorité à des objectifs de nature économique, au détriment d’objectifs liés, par exemple, pour l’individu, à la « vie bonne » (l’eudaimonia dans la culture grecque classique). Cela passe par un autre rapport au temps (la décélération), un autre rapport aux autres (la convivialité et la coopération, plutôt que la concurrence), et un autre rapport à soi (l’individu se réinventant en fonction des valeurs qu’il va se donner, plutôt qu’en fonction des buts que la société lui fixe). Le renoncement, la « sobriété choisie », sont des voies que toutes les grandes religions ont explorées, et qui sont au centre de la démarche des bouddhistes, par exemple.
Et pour conclure ?
La situation actuelle serait déprimante s’il n’était pas à notre portée de la changer. Ce qui donne sens, c’est cette possibilité d’agir à son niveau!