Etienne de Callataÿ

Le risque zéro n’existe pas

Propos d’Etienne de Callataÿ, recueillis par Charles Delhez.

Etienne de Callataÿ a travaillé à la Banque nationale de Belgique, au Fonds monétaire international, a été chef de cabinet adjoint du Premier Ministre Jean-Luc Dehaene et chef de cabinet du Ministre des Finance. Il a ensuite rejoint le secteur financier et a cofondé Orcadia AM, une société de gestion patrimoniale responsable. Il enseigne dans diverses universités belges et est engagé dans plusieurs associations, dont Les Petits Riens. Oser est un mot qu’il adore.

« Le risque zéro n’existe pas, et notamment en économie. Il ne s’agit pas d’avoir le goût du risque pour le risque, mais il ne faut pas vivre tétanisé par défaut d’audace. Cette tétanie est peut-être le plus grand danger à long terme de l’actuelle pandémie. »

L’audace ne suppose-t-elle pas que l’on sache où on va ? Le sait-on en cette époque appelée Transition et dans cet « après Covid-19 » ?

Être audacieux ne veut pas dire prendre tous les risques. Il faut être sélectif, avoir une direction, et choisir les risques que l’on prend. Ainsi, sur le plan économique, si on veut aller vers une société moins polluante, cela signifierait ne pas révolutionner le système mais oser ne pas voler au secours des entreprises les plus dommageables. Il faut avoir l’audace de privilégier celles que l’on pense plus durables, plus pérennes. Il faut avoir un objectif pour choisir ce que l’on fait et ce que l’on ne fait pas.

Irait-on vers un avenir moins heureux pour nos enfants ?

Il y a cette phrase célèbre de l’écrivain Michel Houellebecq : « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire. » Je ne partage pas son opinion. Le progrès va se poursuivre. Pour dire que c’était mieux avant, il faut ne pas savoir ce qu’était avoir mal aux dents il y a 50 ans. Mon propre père est décédé d’une maladie aujourd’hui guérissable. Tous les jours, le « stock » de biens culturels augmente. On n’a jamais vécu une période aussi longue sans guerre dans nos territoires. Face au défi climatique et environnemental, il y a de quoi être inquiet. Nos jeunes ne verront sans doute plus la neige et connaîtront des périodes de grande sécheresse. Ce qui nous attend ne sera sans doute pas facile, mais ce sera gérable à condition que nous changions nos comportements. Je suis d’un naturel optimiste. Je crois qu’on va vers un mieux à condition d’agir.

Dans certains domaines, n’a-t-on pas été trop loin, ainsi dans la technique ?

On a parfois joué aux apprentis sorciers. Certains paris sont irresponsables, même si on prétend qu’on trouvera toujours la solution. Ainsi, s’est-on lancé dans le nucléaire sans se poser la question de la sécurité ou des déchets. Il n’y a d’ailleurs pas encore de réponse. Mais je ne suis pas pour un principe de précaution trop extrême qui nous amène à l’illusion du risque zéro. Cela est mauvais.

La question des voyages en avions et des voitures vous préoccupe…

Oui, en raison des dommages causés et aussi pour illustrer que l’environnement dépend de nos comportements personnels. L’avion, par exemple, a été un formidable progrès, une victoire humaine. On peut aller plus vite et plus loin. Cela a porté des fruits culturels, sanitaires. Mais on ne peut nier qu’il y ait des voyages dont l’intérêt culturel et social ne fait pas le poids par rapport à leur coût environnemental. Mais qui suis-je pour en juger ? Personnellement, cependant, je ne ferai plus certains voyages. Ce sont mes valeurs, mais que je ne veux pas ériger en valeurs absolues. Il y a un appel à être cohérent. Chacun doit être dans l’analyse personnelle et agir en conscience.

Doit-on être plus directif ?

Oui, car individuellement, on est moins heureux qu’avec une coordination publique. Ainsi, à propos, de l’avion, il faudrait interdire les voyages de courtes distances et rendre ce mode de transport plus onéreux, même si c’est au prix d’une injustice sociale. Taxer la pollution pour responsabiliser le pollueur et lui faire faire des choix dans sa pollution est chose urgente. Mais il faut de la pédagogie, de l’accompagnement et surtout de la cohérence de la part des décideurs. Pour oser aller à rebrousse-poil, il faut combiner les interdictions et les incitations financières, être audacieux mais expliquer.

Vous distinguez trois niveaux d’action : personnel, associatif et politique. Quelles seraient les audaces à ces différents niveaux ?

Il faut une audace au quotidien. Ne faut-il pas être plus audacieux au niveau personnel, comme rouler à vélo en ville, mais aussi dans l’interpersonnel ? Il faut oser renoncer à une soirée entre copains à cent kilomètres de chez soi : ce bon moment vaut-il deux cents kilomètres aller et retour ? Il faut aussi avoir l’audace du covoiturage, or on craint de déranger les autres. Je pense également au domaine de la viande. Oser dire que l’on souhaite, quand on va chez des amis, un menu sans viande, ou de l’eau du robinet. Aujourd’hui, celui qui organise le repas doit être disposé à entendre cela. Il faut aussi avoir l’audace d’arriver à une réunion avec une auréole sous les bras, parce que l’on a choisi le vélo. Et même s’il y a quelques désagréments d’odeur, ce que le déodorant peut corriger ! On meurt plus de la pollution des poumons que de celle du nez, mais la première est plus discrète.

Et au niveau associatif ?

Dans le monde associatif, il faut porter un discours audacieux, sans être pour autant le « chiant de service » ou s’inscrire dans un schéma guerrier. Il faut oser s’engager dans des associations, des ONG ou des ASBL, mais aussi faire bouger les choses dans les groupes auxquels on participe ; les vacances en groupe, par exemple, peuvent être plus sobres. Hélas, trop de gens convaincus ne sont pas assez souriants. Le sourire doit aller de pair avec nos engagements, sans être hypocrite, bien sûr.

Reste le politique…

Au niveau de l’État, il faut pouvoir prendre des mesures parfois pas sympathiques, notamment en fiscalité en matière automobile, de chauffage ou de déplacement en avion. Mais il faut l’expliquer et que ce soit juste. Et, bien sûr, donner soi-même l’exemple. Le déficit de cohérence, à gauche comme à droite, mine la légitimité.

N’y-a-t-il pas aussi une audace à parler quand on est, comme vous, quelqu’un qui a l’oreille des médias ?

Oui. Il faut oser parfois déplaire. Mais avec tact, tempérance, gentillesse, et le sourire, encore une fois. Il faut parfois pouvoir dire : non, pas avec moi ! Cela expose aux critiques. À l’heure des réseaux sociaux, cela peut aller vite. C’est là que j’admire les politiques, ils doivent savoir encaisser des coups et rebondir. Je n’en serais sans doute pas capable. Les coups, cela me fait mal. Pour certaines personnes, ce sont les gens tempérés qui, finalement, sont les plus dangereux. L’extrême de l’autre bord n’est pas vraiment l’ennemi. C’est celui qui est au centre qui est dérangeant.

Où l’audacieux nourrit-il ses audaces ?

Les sources sont multiples. Il y a l’économie, pour qui il y a toujours moyen de mieux faire. Il y a l’histoire, qui montre ce que nous devons aux audacieux, et la finance qui souvent les récompense. Il y a la littérature, qui ouvre le champ du possible. Il y a la chance, qui fait que prendre des risques est moins risqué pour certains. Il y a l’éthique, qui nous conduit au devoir d’agir.


Etienne de Callataÿ sera présent à RivEspérance le samedi 9 octobre lors de la session “RIVx” de 10h à 12h.